La critique [evene]
par Mikaël Demets
Loin de tout misérabilisme, la rencontre des auteurs du Frémok avec les artistes du CEC La Hesse transcende la simple confrontation entre handicapés et non-handicapés pour raconter la recherche d’un terrain d’entente entre deux conceptions de l’art. S’affronter sur le ring, c’est évoluer dans le même espace, suivre des règles communes : ici le catch n’oppose pas deux combattants qui luttent l’un contre l’autre, mais deux voix qui luttent ensemble, mues par la même volonté de trouver un équilibre. L’ouvrage est d’ailleurs habité par une violence palpable, instinctive, exacerbée à travers la fascination pour les armes, fantasmée ou raillée lorsqu’elle s’apparente aux muscles de Van Damme et Hulk Hogan, implicite sous l’âpreté de certaines planches. Parfois, les univers s’entrechoquent, comme lorsque Gipi et Oost opposent leurs imageries respectives de la guerre. D’autres fois, la fusion est telle que l’on ne parvient plus à deviner qui fait quoi : l’art brut se mêle aux techniques graphiques pointues, les auteurs s’influencent mutuellement pour imaginer une nouvelle voie à explorer. La grande force de ce livre réside dans son pouvoir de suggestion ; chaque variation de ton impressionne le lecteur au point de susciter toutes les émotions imaginables. Ainsi, à l’hilarant ‘Hulk Hogan contre l’orthodontiste’, sans nul doute la bande dessinée la plus délirante de l’année, succède la majesté silencieuse d’un angoissant noir et blanc, dans un ‘Après la vie, après la mort’ rendu plus mystérieux encore par sa narration lacunaire. De même ‘Full Coeur de Lyon’, avec son Van Damme d’opérette, fait sourire avant de devenir poignant, traversé par des préoccupations viscérales, comme l’importance du frère. Aussi drôle qu’inquiétant, aussi troublant que naïf, à la fois foutraque et beau à couper le souffle, ce recueil sursaute, bifurque, déraille, s’emballe à chaque page. Et entraîne le lecteur dans un tourbillon de sensations étourdissantes dont il ne sort pas indemne.