Note d’intention de Thierry Van Hasselt sur Holeulone
Karine avait lu mon premier livre : Gloria Lopez. Un long récit en bande dessinée réalisé en monotype. Il y est question d’un médecin légiste fasciné par la dépouille d’une jeune femme à la destinée tragique. Une sorte de Justine dont il essaye de recomposer la trajectoire. Le récit s’enlise et se perd au gré des hallucinations du médecin. La matière de l’encre, fluide, flottante semble prendre possession de la page et déterminer l’évolution et les circonvolutions des personnages. La mouvance du noir et ces innombrables nuances offre au regard un écho amplifié de l’ étrange et improbable existence des personnages.
Karine est venue me trouver. Elle me parlait de cette matière, du corps, du mouvement et de la danse. Elle désirait créer un solo. Elle avait déjà le titre. Elle voulait la matière et le corps. Un rapport entre la fixité de la matière en mouvement et la réalité vivante du corps.
Pour commencer, pour entrer dans le sujet, pour confronter le corps à cette matière, on s’est installés au studio pour réaliser une longue série de dessins d’après modèle. Karine posait, je dessinais. Elle rentrait dans l’espace de mes pages. Son corps absorbé, transformé par cette matière.
De cette expérience, nous avons tiré la matière au double projet Brutalis : une pièce et un livre.
Bien vite j’ai eu envie de prolonger cette expérience, de mettre en mouvement mes dessins pour les confronter au mouvement des corps. Je voulais saisir l’organicité qui anime ces dessins : quand le pinceau pose le solvant sur la plaque et que la matière se transforme et vit par elle-même.
Suite à la lecture du livre de Daniel Keyes : Des fleurs pour Algernon, je proposais de partir de cette idée d’évolution accélérée du rapport au monde et du savoir. Que ce prétexte de tornade mentale pourrait devenir le point de rencontre de nos pratiques : le corps en mouvement pour elle, le dessin en mouvement pour moi.
J’optais pour une technique traditionnelle de « peinture sur verre », cela me permettait de travailler de façon rudimentaire et brute. Je manipulais, triturais l’encre épaisse et grasse sur un cello, je fixais à l’aide d’un appareil photo digital chaque étape de la transformation de l’image. Et chaque image ainsi prise devenait un sixième de seconde du film…
Quand il fallut confronter et entremêler le corps et l’image, il fut évident que ce serait une gageure. Nous étions face à deux entités aux vitesses opposées. Le film semblait perpétuellement exploser, tandis que le corps semblait ralenti et presque rendu invisible par les incessantes déflagrations lumineuses du film.
Holeulone prenait vie. Comme un combat sourd, incessant du double corps contre lui-même, du double corps contre l’image qui le consume.