Mesdames et Messieurs,
Ceci est une invitation.
Nous, constitué en institut FRMK, connu comme le Frémok, prenons acte de la
vacuité du terme « BD indépendante ». Dans un contexte, où le marketing et
les opérations financières entendent imposer leur loi à la création, nous
tenons à réaffirmer nos valeurs, à la fois en terme de ligne éditoriale et
de modalités de sa mise en place. Nous le ferons notamment en ouvrant un
programme poétique, l’ExpérienceAlice, qui constituera une plongée en apnée
simultanée dans l’enfance et l’âge l’adulte, le texte et l’image, le rêve et
le réel, la forme et l’informe.
Depuis plusieurs années déjà, les sirènes d’alerte résonnent sur la
concentration dans le domaine de l’édition, sur la surproduction inhérente à
un système qui vit sur la rotation permanente de productions
interchangeables et une pluralité souvent factice. Trop de vessies étouffent
les lanternes. La bande dessinée est particulièrement touchée puisqu’elle
est supposée être comme la littérature de jeunesse un « secteur » qui se porte
bien. Un eldorado presque. Quel éditeur n’y va pas de sa collection, si
possible décalée, légère mais concernée par le monde d’aujourd’hui. Certains
multiplient même à l’envie les labels pour ratisser plus large, couvrir tous
les « segments du marché ». Triste résultat de la compétition : le conformisme
règne tant et si bien qu’il veut même singer l’anti-conformisme. Après avoir
tenu lieu d’espace de liberté (arraché faut-il le rappeler par une bonne
poignée d’auteurs à la tête brûlée), la bande dessinée dite « indépendante »
est elle-même en passe de se laisser enfermer dans de nouvelles conventions.
De la « bande dessinée indépendante »? Du « roman graphique »? Du supposé
intimisme, de l’exotisme polico-bien-pensant?… Rien de plus facile. Vous
en voulez, en voilà, on a appris à en faire ou… Attendez! On va trouver
quelqu’un qui sait faire! Que pensez-vous de ça? C’est presque pareil….
Ceux qui imitent, gros ou petit, savent par avance la forme qu’ils
fabriquent. Mais nous avons, sur les suiveurs et les éditeurs à la petite
semaine, un avantage. Nous-mêmes nous ne savons pas ce que nous faisons!
Nous avançons, quoi qu’il arrive et qu’importe comment. Laissez courir. Et
gardez le fil. Gardez le fil.
Ainsi, le Frémok, d’abord sous les noms d’Amok et de Fréon, lance depuis
quinze ans un défi aux formes et aux normes sans équivalent dans le champ de
l’édition : écritures visuelles, littératures graphiques, bandes dessinées
reconnues ou déniées, desseins passionnels. Art. Litterature. Tout court.
Une aventure qui ne date pas d’hier. La difficulté mais aussi le prix d’une
telle aventure c’est se tenir en permanent déséquilibre, perché au point
critique, à l’extérieur des compartimentages et des usages. Il n’est pas
question d’arrêter.
Parce que nous réaffirmons plus que jamais une démarche qui place l’oeuvre
au centre de l’entreprise éditoriale, parce que pour nous, auteurs-éditeurs,
ce sont les créateurs qui proposent avant que les lecteurs disposent, parce
qu’il faut défendre les vrais librairies pour que les lecteurs puissent
disposer, parce qu’il n’y a pas de frontières qu’on ne doive rendre
mouvantes ou perméables, nous avons choisi de bousculer le train-train de la
ronde des nouveautés. Nous avons choisi en quelque sorte de revenir à la
source de notre désir de création, d’édition, de diffusion, de partage avec
le public. Au-delà des difficultés, voilà le moteur qui fait tourner la
machine : l’irruption et la circulation des formes, l’invention des
possibles.
C’est cette démarche, folle mais sûre, que nous voulons partager.
L’ExperienceAlice qui s’ouvre avec la publication du manuscrit originel
d’Alice au pays des merveilles, coïncide donc aussi avec notre choix de
redéfinir notre ou nos circuits de diffusion. Nous voulons nous doter
d’outils qui renforcent les liens avec les lecteurs et les libraires. Nous
voulons des livres vivants, des littératures pirates. Constituer un réseau,
plutôt qu’une chaîne, qui soude une réelle communauté d’intérêt,
d’engagement, de plaisir. Le désir, le désir, bon sang! S’il n’y avait qu’un
mot à retenir, ce serait celui là. A la place des murs, mettre des pages.
Effeuiller les cloisons. S’introduire, demeurer, en intrus. Sur le métier
sans cesse remettre l’ouvrage. Percer l’abcès des écritures. Faire face au
danger de voir, lire entre les lignes. Déchiffrez, défricher. Courir plus
loin, comme un cheval sans tête. Libre. Ah, qu’est-ce que c’est qu’être
libre aujourd’hui? Une délicate opération. A ciel ouvert. Une expérience
permanente. ENTREZ